René Maran romancier et conteur

Si René Maran s'est révélé poète à la fin de sa jeunesse bordelaise, sa vocation de romancier devait être suscitée – parallèlement à celle d'épistolier – dès son retour en Afrique, fin 1909, à l'âge de vingt-deux ans (il avait passé trois ans au Gabon dans sa petite enfance). Sa découverte du « continent noir » en tant qu'adulte s'est traduite par la rédaction de centaines de lettres (surtout aux amis laissés à Bordeaux) et la prise de notes de ses impressions, dès les premières semaines passées à Brazzaville avant de rejoindre son père au poste isolé de Grimari dans l'Oubangui-Chari.

Ses premières tentatives dans le genre romanesque ont été longuement polies dans un projet de roman autour du personnage métis de Djogoni, dans le milieu urbain de Brazzaville, dont une version réduite à une nouvelle devait paraître en revue en 1928. Mais c'est surtout l'environnement des tribus et des bêtes sauvages, découvert en pays banda de l'Oubangui-Chari puis en pays sara au Tchad, qui allait inspirer Batouala et les cinq volumes suivants de ce que l'on peut appeler le « Cycle de la brousse africaine », produit sur une période de quarante ans. Ce cycle comprend les romans Batouala, Djouma chien de brousse, Le Livre de la brousse, Mbala l'éléphant, et Bacouya le cynocéphale, ainsi qu'une série de contes, souvent publiés en revue avant d'être réunis en recueils (ainsi Bêtes de la brousse inclut-il « Bassaragba le rhinocéros », « Doppélé le charognard », « Bokorro le serpent python », et « Boum le chien », et « Dog le buffle ») ou joints à des romans (« Youmba la mangouste » à la réédition de Batouala en 1938, « Les derniers jours de Baingué » et « Les Fourmis » à celle de Mbala, l'éléphant en 1947).

Dans ses romans et contes animaliers, Maran crée une prose très particulière et inlassablement travaillée, comme le montre sa correspondance. Le lexique inclut un grand nombre de termes indigènes mais aussi des mots rares provenant des lectures de Maran qui s'intéressait beaucoup à la poésie médiévale française. Dans l'univers de ces œuvres de fiction, l'écrivain allie des représentations poétisées de la nature et des représentations détaillées et souvent ironiques – voire satiriques – de la vie des protagonistes. Les individus – humains ou animaux – sont engagés avec ou contre leurs congénères, dans le combat permanent et féroce pour la survie dans la brousse. Seules de rares scènes incluent des personnages blancs et décrivent l'influence grandissante de l'exploitation coloniale sur les modes de vie traditionnels des tribus ou des bêtes, qui ont fasciné l'écrivain.

En dehors de ce cycle inspiré par la décennie passée en Afrique équatoriale, l'auteur de fiction Maran a également publié d'autres romans et quelques nouvelles dont l'action se situe dans la France contemporaine. Sous-titré « conte », Le Petit Roi de Chimérie se présente comme une œuvre inclassable – entre conte de fée et utopie satirique – dans laquelle Maran évoque avec une verve linguistique brillante la complexité des politiques menées – ou subies – par divers princes et diverses nations, engagés dans les tourments de combats rappelant ceux de la toute récente Première guerre mondiale.

Deux autres romans sont de nature largement autobiographique. Le Cœur serré, décrit l'enfance malheureuse d'un garçon placé par ses parents dans un internat de Bordeaux où il se retrouve seul pendant les vacances. Un Homme pareil aux autres, paru dans sa version définitive en 1947, avait déjà été publié sous le titre Journal sans date en 1927 et celui de Défense d'aimer en 1932, après avoir été annoncé dès 1924 sous le titre Le Roman d'un nègre. Maran y représente avec beaucoup de sensibilité, les affres de Jean Veneuse, personnage « nègre » ayant grandi en France et employé dans l'administration coloniale en Afrique, qui aimerait vivre « comme les autres » mais se demande s'il peut épouser la femme blanche qu'il aime – et qui l'aime – dans le contexte social de son époque.

Ce n'est que dans le recueil Peines de cœur, paru en 1944, que l'homme de couleur René Maran s'est libéré du poids de la question de la race et de l'expérience africaine. Il inclut les nouvelles qu'une édition récente distingue par la mention « françaises » par opposition à « africaines » :  « Peines de cœur », « L’homme qui attend », « Deux amis », et « La belle Armande ».

 

Charles Scheel

Carte postale de René Maran à Charles Barailley, 5 juin 1914 (Bibl. mun. de Bordeaux)

Carte postale de René Maran à Charles Barailley, 5 juin 1914 (Bibl. mun. de Bordeaux)