René Maran poète

Pendant que d'autres anciens élèves du Lycée de Bordeaux faisaient des études universitaires, René Maran, qui n'avait obtenu que la première partie du baccalauréat en 1905, se lançait dans la poésie, avec le soutien de son ancien professeur de lettres du lycée, André Lambinet. Si bien qu'au lieu de décrocher une licence, il fut l'un des rares amateurs de beaux vers dans son entourage bordelais à voir publier, dès 1909, un premier recueil, La maison du bonheur, aux Éditions du Beffroi, dirigées par Léon Bocquet. Ce haut fait ne contribuant pas à nourrir la famille, René Maran suivit son père pour aller occuper un poste de fonctionnaire du ministère des Colonies en Afrique équatoriale. Pendant la douzaine d'années de cette carrière, René Maran devait continuer à produire des poèmes, tout en entreprenant la rédaction de romans : d'abord Djogoni, abandonné, puis Batouala, véritable roman nègre, qui devait lui valoir le prix Goncourt en 1921. Ces productions se firent parallèlement avec une intense activité épistolaire et les innombrables lettres de René Maran de cette période en particulier, conservées dans diverses archives, sont une véritable mine de renseignements sur l'évolution de son art poétique, tant pour la prose que pour les vers.

En effet, bien des poèmes (ou « stances ») surgissent d’abord dans des lettres destinées à des amis proches de Bordeaux ou aux mentors (Léon Bocquet et Manoel Gahisto surtout pour la prose, et André Lambinet pour les vers), alors que René Maran est lui, si loin, en territoire africain. Parfois, les tapuscrits – de proses ou de poèmes – sont envoyés avec la demande qu’ils soient proposés à des périodiques contre rémunération, car le jeune homme est devenu soutien principal de sa famille après la mort prématurée du père en 1911. Il exprime cette contrainte notamment dans une lettre envoyée à Manoel Gahisto depuis Bordeaux en avril 1912, dans laquelle il annonce son départ prochain pour l’Afrique après un congé en France : « je cherche à vendre des proses qui, somme toute, ne me plaisent que par la conscience que j’ai prise à les affiner. » C'est pendant le séjour en Afrique que Maran allait rédiger une grande partie de ses nouveaux poèmes, alors même que, contrairement aux proses, l'expérience africaine n'y est pas mentionnée. Certains de ses poèmes allaient être publiés dans trois recueils : La Vie intérieure (1912), Le Visage calme, (1922) et Les Belles Images (1935). A la fin de sa vie, l'écrivain en réunira les meilleurs, en y adjoignant une quinzaine d'inédits, dans Le Livre du Souvenir (1958), qu'il dédie à son épouse : « N'ayant pas, ma femme chérie, d'autre richesse à t'offrir, je te prie d'agréer le tout, revu et corrigé et mis au point, en cadeau ».

Les correspondances montrent à quel point le contact avec les amis de Bordeaux et d'ailleurs a joué un rôle essentiel dans l'entretien de la passion littéraire de Maran. Par Léon Bocquet, suffisamment convaincu de son talent pour l'avoir édité le premier, le jeune poète allait connaître Manoel Gahisto et Philéas Lebesgue qui deviendront des amis. Eux-mêmes entreprennent de faire connaître le jeune auteur auprès de personnalités en vue, comme Léon Daudet, membre de l'académie Goncourt, et Henri de Régnier, de l'Académie française, qui allaient jouer un grand rôle dans la publication de Batouala et l'attribution du Goncourt en 1921. René Maran se montre reconnaissant de ces soutiens, et le recueil de poèmes, publié en 1935, Les belles images, est dédié à l’amitié, ce sentiment qui fut si important et si décisif dans sa vie.

S’il peut faire preuve de coquetterie, René Maran accorde pourtant une importance certaine au geste poétique. D’une part, il est lui-même un grand lecteur d’œuvres très diverses. Celles de François Villon, Jean de la Fontaine ou Stéphane Mallarmé, pour n’évoquer que quelques-uns des noms dont fourmillent les lettres. D’autre part, René Maran confie au registre poétique la mission d’exprimer ses plus vibrantes émotions, tant sur le plan de sa vie sentimentale que sur le plan de l'engagement militant. Ainsi décrit-il son attachement à la France, pendant la première guerre mondiale, alors qu’il s’est vu refuser – comme les autres fonctionnaires de  l’administration coloniale – le droit de rejoindre le front en Europe. Ces poèmes patriotiques seront publiés ultérieurement dans Le livre du souvenir (1958).

Enfin, la poésie joue un rôle tout aussi important que celui des romans ou nouvelles à caractère autobiographique (Le Coeur serré, Un Homme pareil aux autres...) quant il s’agit pour Maran de faire advenir, par les mots, la souffrance de l’enfant « abandonné » par ses parents dans un internat avant l'âge de sept ans, les difficultés de la vie amoureuse pour le jeune homme de couleur qui avait grandi en France métropolitaine, et la violence de la présence coloniale en Afrique. En ce sens, poésies et fictions se rejoignent, « dialoguent, » dans un échange réflexif, harmonieux ou contradictoire au sein de l’œuvre.

 

Roseline Garcia Ballester

Consultez en texte intégral le manuscrit de La Vie intérieure (Bibl. mun. de Bordeaux) :

Manuscrit de La Vie intérieure

Recueils de poèmes publiés :

  • La Maison du bonheur (1909)
  • La Vie intérieure (1912)
  • Le Visage calme (1922)
  • Les Belles Images (1935)
  • Le Livre du Souvenir (1958)