Le fonds privé familial Maran-Cernard-Michel

Camille et René Maran à Paris en 1947

Camille et René Maran à Paris en 1947 (Fonds privé familial Maran-Cernard-Michel©Tous droits réservés)

Après la mort de René Maran le 9 mai 1960, sa veuve Camille continue d’habiter square Delambre à Paris, au deuxième étage d’une maison pleine de sa mémoire. Le meuble-bibliothèque du salon, particulièrement, contient de très nombreux volumes ayant appartenu à son mari, sans doute près de 10 000 ouvrages. Cet appétit de Maran pour les livres est attesté par ses amis, au premier chef le poète et éditeur Léon Bocquet : la littérature était, rapporte-t-il, « comme son vice élégant, son péché d’habitude, sa religion unique, la nécessité et l’aliment de son cerveau et de son âme » (Préface au Petit Roi de Chimérie, 1924). « Impressionnante est, en effet, la culture livresque de Maran », rappelle Sylvie Brodziak :

« Loin de la France, patrie de sa formation intellectuelle, il a transporté et dévoré presque tous les livres, Virgile, Marc-Aurèle, Gide, Suarès, La Fontaine, Rutebeuf, Henri de Régnier, Renan, Albert Samain, Adam de la Halle, Charles d’Orléans, Villon, Rabelais, Malherbe, Louis Ménard, Bergson, Anatole France, Tagore... Il a feuilleté presque toutes les revues de son époque : Mercure de France, La Revue bleue, La Nouvelle Revue française, L’Amitié de France, La Vie, La Revue des deux mondes, Les Belles-Lettres... » [1].

Nous connaîtrons bientôt avec exactitude le contenu de la bibliothèque de l’écrivain, telle qu’il l'a laissée à son décès, car Camille Maran a pris le soin d’établir entre 1960 et 1967 une liste de ces volumes, à des fins de donation ou, nécessité faisant loi, dans la perspective de les vendre.

Même en dehors de la bibliothèque, les archives de l’écrivain sont considérables car Maran conservait toutes les traces de genèse, y compris les notes préparatoires et les plans hâtivement griffonnés de ses futurs essais. Elles ont été préservées de la destruction avec le même soin méticuleux : Camille Maran va jusqu’à rassembler ceux des documents qui étaient restés épars dans des contenants qu’elle annote. En 1965, elle fait en témoignage d’amitié une donation considérable à Léopold Sédar Senghor, ami de longue date de son mari et, à cette époque, président de la République du Sénégal. Ce don concerne de nombreux volumes de la bibliothèque de l’écrivain, mais aussi une bonne partie de ses archives. Mais Camille Maran conserve par devers elle, pour des raisons affectives, certains volumes et certains documents – elle y porte l’annotation « pour moi ». Après sa disparition en 1977, puis celle de sa fille adoptive, Paulette Cernard, ce sont les enfants de Paulette, Bernard Michel et sa sœur Françoise, qui deviennent dépositaires de ces documents. Bernard Michel n’a pas connu son grand-père mais a eu une relation de grande proximité avec sa grand-mère.

Si aujourd’hui nous n’avons qu’une idée très vague de la teneur de la bibliothèque actuellement conservée dans la famille (certains volumes ont été vendus au moment du décès de Paulette, d’autres l’ont été lors de déménagements), il existe par contre un inventaire précis des manuscrits et autres documents conservés dans les archives familiales. Elles sont d’une exceptionnelle richesse.

Le fonds est constitué de deux cartons d’archives. Le premier contient une série de brouillons concernant Les Pionniers de l’empire (à la fois esquisses manuscrites, notes bibliographiques et « tapuscrits », c’est-à-dire textes tapés à la machine, qui sont vraisemblablement des mises au net en vue de la transmission à l’éditeur), et un dossier particulièrement volumineux concernant le dernier ouvrage publié par René Maran, Bertrand Du Guesclin.

Dans le second carton, nous trouvons plusieurs états du Petit Roi de Chimérie, des documents très riches sur Bêtes de la brousse (notamment un feuillet portant des esquisses de plan de l’ouvrage, avec ratures et repentirs, deux exemplaires dactylographiés et annotés à la main, chacun avec des annotations différentes, de « Bassaragba le rhinocéros », idem pour « Mbala l’éléphant », un manuscrit de « Boum et Dog », plusieurs tapuscrits annotés de Bacouya le cynocéphale). À mentionner également, un dossier très riche sur Un homme pareil aux autres (sous le titre de Journal sans date – documents manuscrits et tapuscrits), et enfin un tapuscrit de Batouala, dont le premier chapitre a des allures de manuscrit, produit par une machine à écrire utilisant des caractères typographiques très rares.

 

Claire Riffard

 

[1] Sylvie Brodziak, « Le Petit Roi de Chimérie de René Maran ou la littérature vigie de l’histoire », Présence africaine, 2013, n° 187-188, p. 199.